Réflexions sur le temps qui passe – Partie I

Publication du 5 décembre 2022

Que le lecteur ne se méprenne pas, le contenu de cet article et des épisodes à venir n’a nullement été motivé par l’approche du vingtième anniversaire de notre propre entrée en fiscalité ; que le lecteur se rassure, il ne trouvera ici aucune réflexion de nature philosophique. C’est uniquement au temps qui passe dans les procédures que nous avons souhaité nous intéresser, qu’il s’agisse, cette fois-ci, des procédures de rescrit ou, prochainement, des procédures de contrôle et des procédures contentieuses. (Pour le lecteur peu au fait du jargon fiscal, rappelons que le rescrit fiscal n’est rien d’autre, pour en reprendre la définition figurant sur le site de l’administration fiscale, qu’une réponse de l’administration aux questions du contribuable sur l’interprétation d’un texte fiscal ou sur l’interprétation de sa situation de fait au regard du droit fiscal.)

Lorsque après tant d’années dans le métier, certains nous demandent quelle fut notre plus belle affaire, nous évoquons toujours ce magnifique contrôle douanier où, après moult péripéties judiciaires et contre tous les pronostics initiaux, l’entreprise l’emporta. Ce fut indéniablement une satisfaction d’avocat d’obtenir de la Cour de cassation qu’elle écrive explicitement dans ses attendus qu’il y avait lieu de modifier sa jurisprudence afin de lui donner de la cohérence ; mais à y regarder de plus près, quelle satisfaction y a-t-il à ce que le sort d’importations effectuées en 2005 continue d’encombrer les tribunaux en 2022 ? Laissons là cependant les procédures contentieuses, qui nous occuperont dans la troisième partie de cet article, et venons-en aux procédures de rescrit ; ceux qui nous ont connu dans notre vie administrative savent que c’est là un sujet qui nous a toujours tenu à cœur.

Le lecteur taquin pourrait relever qu’il est quelque peu paradoxal de publier un article sur les procédures de rescrit dans une newsletter consacrée aux actualités fiscales, lorsque aucune actualité fiscale n’a défrayé la chronique en la matière. C’est vrai, mais c’est également faux, l’envie de mettre sur le papier nos réflexions sur ce sujet étant née de la lecture du tout récent projet de loi de finances pour 2023 – en l’occurrence l’état G annexé à son article 30, qui, dans la liste des objectifs et indicateurs présentés dans le cadre des projets annuels de performances pour 2023, inclut le « taux de réponse de la DGDDI et de la DGFiP aux demandes de rescrit dans les délais réglementaires ». Si la problématique et cet indicateur ne sont pas neufs sur le fond, il est en revanche nouveau qu’ils soient présentés de la sorte dans la loi de finances.

Pour la clarté de nos développements ultérieurs, nous répartirons les demandes de rescrit en trois grandes catégories : celles pour lesquelles la réglementation n’oblige pas l’administration fiscale à répondre (article L. 80 A du livre des procédures fiscales), celles pour lesquelles la réglementation prévoit qu’à défaut de réponse dans un certain délai, l’administration fiscale est réputée avoir approuvé la position exprimée par le contribuable dans sa demande (articles L. 80 B 2° à L. 80 B 8° du livre des procédures fiscales) et celles pour lesquelles la réglementation prévoit que l’administration fiscale doit répondre dans un certain délai (article L. 80 B 1° du livre des procédures fiscales).

Chaque année depuis 2008, l’administration fiscale publie son Rapport d’activité en matière de rescrit. La lecture de celui publié au titre de l’année 2021 nous apprend ainsi que les services déconcentrés de l’administration fiscale ont reçu 20 250 demandes de rescrit de la deuxième catégorie ou de la troisième catégorie, et en ont traité 19 814 (sur les quatre dernières années, le nombre de dossiers traités s’établit entre 95 % et 97% du nombre de dossiers reçus, sauf pour l’année 2020 qui aura permis de rattraper le retard – les confinements et la fermeture des bureaux n’auront pas eu que de mauvais effets !). Si le nombre semble important, cela représente en réalité une demande par département et par jour ouvré, ce qui doit conduire à relativiser tant la charge réelle de ces demandes pour l’administration fiscale que le taux de recours à ces procédures par les contribuables. Quant à l’administration centrale, elle aura traité 619 demandes de rescrit de la deuxième catégorie ou de la troisième catégorie (y compris 26 demandes au titre de l’abus de droit), soit un peu moins de trois demandes par jour ouvré, tous impôts confondus.

Autre information essentielle, il y est rappelé que pour les demandes de rescrit de la troisième catégorie, l’administration fiscale avait pour objectif, en 2021, de répondre dans un délai de trois mois à au moins 84,5 % des demandes et que cet objectif a été très largement dépassé, puisque 92,55 % des demandes de rescrits de la troisième catégorie ont fait l’objet d’une réponse dans ce délai de trois mois. Dans les services déconcentrés, le délai moyen de traitement des demandes de rescrit de la troisième catégorie (hors rescrits « entreprises nouvelles » et rescrits « associations ») s’est établi à 74 jours, tandis que le délai moyen de traitement de ces demandes par l’administration centrale s’est établi à 144 jours ; plus précisément, sur les 505 demandes de rescrit de la troisième catégorie traitées par l’administration centrale en 2021, 53 % l’ont été en moins de trois mois, 22 % entre trois et six mois, 10 % entre six mois et neuf mois et 15 % en plus de neuf mois ; enfin, lorsqu’une demande de rescrit de la troisième catégorie n’est pas traitée en moins de trois mois par l’administration centrale, alors elle est traitée en moyenne en 259 jours, soit un tout petit peu moins de neuf mois ; et comme les dossiers traités en plus de neuf mois ne représentent que 32 % des dossiers traités au-delà de trois mois, on en conclut que les 15 % de dossiers traités en plus de neuf mois le seront bien, bien après ces neuf mois. L’administration fiscale reste très discrète sur le nombre de demandes toujours non traitées après neuf, douze, dix-huit ou vingt-quatre mois ; tout juste apprend-on à la lecture de ce rapport que 45 dossiers de plus d’un an ont été traités par l’administration fiscale en 2021 (le rapport ne dit pas si les demandeurs avaient encore besoin de la réponse).

Les demandes de rescrit de la troisième catégorie sont, rappelons-le, celles pour lesquelles la réglementation prévoit que l’administration fiscale doit répondre dans un certain délai. Il est grand temps en effet de revenir aux bases, c’est-à-dire aux textes qui régissent l’action de l’administration fiscale en la matière : le 1° de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales énonce ainsi, en des termes simples et intelligibles : « [L’administration] se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. »

Quoi qu’on puisse en dire, le français juridique est d’une clarté cristalline : selon la formule consacrée, l’indicatif vaut l’impératif ; la règle est limpide, l’administration doit se prononcer dans les trois mois de la demande. Mais elle ne le fait pas. Non seulement elle ne le fait pas, mais il y a plus « surprenant » dans l’affaire, pour ne pas dire plus : en affichant un objectif, public et validé par les plus hautes hiérarchies, d’un taux de réponse de 84,5 % dans les trois mois de la demande, l’administration fiscale proclame en réalité qu’elle a pour objectif d’être dans l’illégalité dans 15,5 % des cas… ce qui ne semble poser aucun problème à personne – le problème n’étant pas que l’administration fiscale finisse par se retrouver dans l’illégalité, mais qu’elle s’en fixe l’objectif a priori. Imaginerait-on un contribuable se fixer comme objectif de s’acquitter de 85 % de ses impôts ?

Qu’il incombe à l’administration fiscale de répondre à des demandes de rescrit ne va pas de soi – l’on pourrait parfaitement imaginer une administration fiscale entièrement tournée vers ses tâches de contrôle ; mais ce débat est clos : le choix politique a eu lieu il y a quinze ans, et c’est un fait, l’administration fiscale, quelle que soit la façon dont est enrobée la réalité, n’est pas encore au rendez-vous des exigences légales qui sont censées s’imposer à elle. Quant aux améliorations supposées, il est toujours intéressant de noter que le délai moyen de réponse par les services déconcentrés était de 64 jours en 2010 et de 74 jours en 2021 !

A suivre dans une deuxième partie quelques réflexions sur les conséquences et les causes possibles de cette situation peu satisfaisante. Rendez-vous dans une semaine !